« Concertation asile-immigration »,
lettre ouverte au Premier ministre
Paris, le 9 janvier 2018
Monsieur le
Premier ministre,
Par un message
du 6 janvier, vous avez invité le Gisti à une réunion de concertation sur la
politique de l’asile et de l’immigration fixée au 11 janvier, précisant qu’il
s’agissait d’une « deuxième réunion pour évoquer l’avant-projet de
loi » et que l’ordre du jour détaillé nous en serait communiqué
« ultérieurement ».
Nous tenons à
vous faire connaître les raisons pour lesquelles il ne nous apparaît pas
possible de répondre positivement à cette invitation.
Nous souhaitons
d’abord vous rappeler que 470 associations, réseaux ou collectifs engagés dans
la défense des droits des personnes migrantes lançaient le 20 juin 2017 un appel
à un changement radical de politique migratoire en France [1].
Constatant que la gestion répressive des migrations internationales et le
non-respect du droit d’asile qui prévalent dans la plupart des pays d’Europe et
en France en particulier sont un échec effroyable, ces organisations vous
appelaient, ainsi que le Président de la République, à convoquer d’urgence une
conférence impliquant tous les acteurs, afin qu’émergent des politiques
alternatives d’accueil et d’accès aux droits.
Sans égard pour
ces recommandations, vous présentiez le 12 juillet 2017 un « plan
migrants » - incluant un projet de loi, alors annoncé pour le mois de
septembre 2017 - dont le Défenseur des droits lui-même devait relever, le 21
juillet, qu’il « s’inscrit dans la ligne des politiques successives qui
dysfonctionnent depuis 30 ans ».
Constatant que
cette annonce ignorait les propositions portées par celles et ceux qui œuvrent
au plus près des personnes migrantes, ce sont alors près de 260 associations et
collectifs de solidarité et de défense des droits humains qui, en réponse,
décidaient de prendre elles mêmes en charge l’organisation d’une large
concertation citoyenne sur l’accueil et les droits des personnes migrantes en
France [2]. Cette concertation a pris la forme d’États
généraux des migrations, dont le processus a été lancé le 21 novembre
2017 [3].
De son côté, la
Commission nationale consultative des droits de l’homme adoptait le 17 octobre
2017 une « déclaration alerte sur le traitement des personnes
migrantes », publiée le 19 novembre 2017 au Journal officiel, aux termes
de laquelle, « ayant pris connaissance par voie de presse de certaines
dispositions du projet de loi intitulé « pour un droit d’asile garanti et
une immigration maîtrisée » elle soulignait « l’urgente nécessité de
construire une autre politique migratoire avec une dimension internationale et
européenne », ajoutant que « cette refonte politique suppose une
véritable concertation avec l’ensemble des acteurs (État, société civile,
chercheurs, syndicats, etc.) ».
Pourtant,
conviées au cabinet du ministre de l’intérieur le 20 novembre 2017, les
représentantes du Gisti se voyaient présenter les premiers axes d’un futur
projet de loi sur l’immigration et l’asile qui confirmaient les orientations
annoncées le 12 juillet, à rebours de celles que nous défendons, avec tant
d’autres. Au cours de cet entretien, aucun intérêt n’était manifesté par leurs
interlocuteurs ni pour les observations critiques suscitées par les mesures
annoncées, ni pour le rappel de cette voie alternative.
C’est dans ce
contexte que vous nous invitiez le 20 décembre à une première « réunion de
concertation Asile immigration » fixée au lendemain même, augurant ainsi
fort mal de la volonté de concertation affichée sur un avant-projet de loi dont
le texte restait au surplus inconnu.
Nous sommes aujourd’hui
contraints de constater que la deuxième réunion, fixée au 11 janvier, ne
s’annonce pas sous de meilleurs auspices : le texte de l’avant-projet de
loi ne nous est toujours pas communiqué et l’ordre du jour de cette réunion ne
nous sera précisé qu’ultérieurement, de sorte qu’il est déjà acquis qu’il ne
pourra en aucune façon s’agir d’une véritable concertation, en dépit d’un
affichage trompeur.
Il nous faut
relever en outre qu’une fois de plus seuls les sièges de quelques associations
nationales sont pressentis pour être associés à cette concertation, laissant de
côté les centaines d’associations locales, de collectifs, comités de soutien,
réseaux qui partout en France se mobilisent et agissent au quotidien pour
pallier les défaillances de l’État en matière d’accueil, manifestant ainsi leur
hostilité aux politiques que votre gouvernement entend encore amplifier.
Mais le
contexte de cette invitation ne se résume ni à votre désintérêt pour les
recommandations de tant d’institutions de la République et de représentants de
la société civile, ni aux conditions gravement dégradées de la
« concertation » à laquelle vous nous conviez. Il est également
marqué par la circulaire de votre ministre de l’intérieur du 12 décembre 2017,
relative à l’examen des situations administratives dans l’hébergement
d’urgence.
Vous avez pu
prendre la mesure, Monsieur le Premier ministre, de l’émoi considérable soulevé
par les instructions données dans cette circulaire, qui remettent en cause tant
le principe d’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence que l’inviolabilité
de domiciles relevant de lieux privés et la protection de données à caractère
personnel.
A l’évidence,
une concertation digne de ce nom ne pourrait être engagée que dans le climat
apaisé qui résulterait de signes forts attestant de votre volonté que ces
instructions restent sans suites et sans effets.
Faute d’avoir
perçu le moindre écho, jusqu’à ce jour, d’une telle préoccupation de votre part
et compte tenu de l’absence de perspectives d’une concertation loyale et
approfondie sur un projet de loi dont il est déjà annoncé qu’il sera présenté
et examiné dans des délais contraints, vous comprendrez que nous ne jugions pas
utile de répondre à votre invitation. Vous comprendrez également que, compte
tenu des enjeux qui s’attachent à un débat public sur ces questions, nous
prenions la liberté de rendre cette réponse elle-même publique.
Nous vous
prions de croire, Monsieur le Premier ministre, à l’assurance de notre parfaite
considération.
Vanina Rochiccioli
Présidente
[2] À
rebours du Plan Migrants, la société civile se rassemble autour d’une
Conférence nationale citoyenne sur la politique migratoire de la France
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire