Tribune de Gilles Perret dans "Le Monde" du 05/12/16
"En entendant François Fillon déclarer lors du débat télévisé avec
Alain Juppé qu'il voulait « désétatiser » la Sécurité sociale, je suis tombé de
ma chaise. Comment un homme d'état qui brigue la présidence de la République
peut-il inscrire dans son programme qu'il souhaite générer plus de misère et
diminuer l'espérance de vie ? Car enfin, qu'on ne s'y trompe pas, c'est bien en
ces termes qu'il faut expliciter la chose. En confiant la médecine de ville aux
complémentaires santé, c'est 50 % du budget de la branche santé que l'on remet
à un système plus inégalitaire et moins efficient que la Sécu. Rappelons que
tous les citoyens cotisent proportionnellement à leurs revenus alors que les
tarifs des complémentaires sont fonction de ce qu'ils peuvent se payer.
Rappelons aussi que les coûts de fonctionnement de la Sécurité sociale sont de
6 % alors que ceux des complémentaires santé sont plutôt de l'ordre de 20 %.
C'est autant d'argent versé à des fins publicitaires ou à des actionnaires qui
n'est pas reversé aux assurés sociaux.
Dans un pays qui n'a jamais été aussi
riche depuis la Libération, c'est faire preuve d'une faible ambition politique
que d'annoncer du sang et des larmes pour les plus faibles. Rappelons tout même
que la France était ruinée lorsque la Sécurité sociale fut créée en 1946, à une
époque où le projet politique prévalait sur la question économique. Il fallait
tout d'abord offrir la santé, des allocations familiales et des retraites
décentes pour tous et ensuite seulement se posait la question de leur
financement. Les Résistants, des gaullistes aux communistes, ont ensemble donné
corps à une belle utopie qui nous protège encore au quotidien. Lors de sa
campagne pour les primaires de la droite, j'avais été abasourdi en écoutant le
discours
de François Fillon devant les chefs d'entreprises. Il disait vouloir faire un «
blitzkrieg » social dès son élection. Entendre parler de « blitzkrieg » (en
référence à la théorie de la guerre éclair des nazis contre l'Europe) en
s'attaquant au programme du Conseil National de la Résistance avait de quoi
nous interpeller ! De surcroît par un homme qui ose, certes de façon de plus en
plus timide, se revendiquer du gaullisme... Il s'agissait déjà là d'annoncer la
couleur comme avant lui l'avait fait Denis Kessler, membre du Medef, qui
déclarait en septembre 2007 que la politique de Nicolas Sarkozy, dont François
Fillon fut le Premier ministre, devait consister à « détruire méthodiquement le
programme du Conseil National de la Résistance ». Reconnaissons qu'il y a là
une constante dans les projets libéraux qui visent systématiquement à
s'attaquer à l'état social bâti en grande partie à la Libération. Alors
aujourd'hui que faire face à ces attaques ? Il n'est pas question de rester les
bras
croisés.
Dans un premier temps, et pour le geste, envoyer un DVD de « La
Sociale » à François Fillon pour qu'il connaisse mieux l'histoire et les
bienfaits de la Sécu. Dans un second temps, poursuivre le marathon entrepris
depuis plusieurs mois avec mon film, en portant à la connaissance du plus grand
nombre, dans les cinémas tous les soirs et aux quatre coins de la France, la
belle histoire et la grandeur humaniste de cette institution telle qu'elle
subsiste encore aujourd'hui. Cette entreprise est menée tambour battant, chaque
semaine les spectateurs sont plus nombreux, persuadés que c'est bien le travail
d'éducation populaire qui permettra d'envisager un monde plus apaisé et plus
juste. Nous aurions pu imaginer que la direction de la Sécurité sociale
s'empare du film pour mieux se défendre face aux attaques subies. Ce n'est pas
le cas. Silence radio. Comme si la dimension politique de cette institution
devait être tue au profit d'un discours réduit à des questions administratives et
financières. Gageons que François Fillon, après avoir vu « La Sociale »,
infléchira ses positions et qu'il proposera plutôt une Sécu prenant en charge
la santé à 100 %, en abolissant les complémentaires. Irréaliste ? Pas tant que
ça puisque c'est ce qui se passe en Alsace-Moselle et que les caisses sont
bénéficiaires.
Après tout, l'intérêt général, n'est-ce pas ce que devrait
défendre un candidat à la présidence de la République, au-delà de tout
dogmatisme ?"
Gilles Perret, réalisateur de La Sociale
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