On entend souvent, en ce moment, le
gouvernement et des journalistes complaisants se demander :
« pourquoi manifester contre une réforme qu’on ne connait pas, qui n’est
pas encore décidée, dont on ne connait pas encore tous les paramètres ? »
On insinue aussi que ceux qui
manifestent veulent seulement défendre des régimes spéciaux qui accordent des
privilèges couteux financés par l’ensemble des contribuables. On a rarement vu
un gouvernement chercher à ce point à monter des catégories de français les
unes contre les autres, en particulier en stigmatisant publiquement les
fonctionnaires qui sont directement sous sa responsabilité.
Pourtant, des textes très
complets existent sur le site du gouvernement pour qui veut en savoir plus sur
ce projet de réforme (
https://www.reforme-retraite.gouv.fr/ :
plusieurs documents de plus de 100 pages chacun !)
Le gouvernement voudrait relever
une contradiction : les français seraient majoritairement favorables à une
réforme des retraites, les manifestations seraient donc injustifiées et les
manifestants minoritaires et non représentatifs des français ! En réalité,
il y a des manifestants qui ont lu les documents sur la réforme, qui ont
participé à des réunions publiques avec JP Delevoye, par exemple au Chesnay le
28 novembre, qui ne sont pas opposés par principe à une retraite universelle
par point, car cela existe déjà pour les cadres et ça fonctionne, mais qui ont
quand même de sérieuses réserves sur la réforme, telle qu’elle est présentée
par le gouvernement. La contradiction qu’invoque le gouvernement n’existe donc
pas. Ce qui existe en revanche, c’est le cynisme du gouvernement, sa
communication totalement perverse pour faire passer des vessies pour des
lanternes, pour masquer les effets réels de sa réforme.
Premier exemple de cynisme, dont
on parle encore très peu dans la presse : le nouveau plafond de
120 000€. Le gouvernement prétend défendre la retraite par répartition et
vouloir sauver notre système, en réalité il propose de mettre un plafond à 120
000€ de revenu annuel pour les cotisations à 28%, et, au-delà de ce plafond, le
taux passerait à 2,8% (sans aucun droit supplémentaire pour la retraite).
Aujourd'hui, le plafond pour les cotisations AGIRC/ARCO pour la retraite
complémentaire des cadres est de 320 000€ de revenu annuel (8 fois le plafond
de la sécu cf annexe). Quand Mr Delevoye a présenté ce point en réunion au
Chesnay, il a seulement précisé que ça concernait moins de 1% de la population,
mais il s'est bien gardé de préciser les conséquences de ce plafond (il s'est
d'ailleurs bien gardé de préciser ce que ça changeait) ! Et bien voici ce que
ça change : on réduit l'assiette de prélèvement des cotisations pour les
retraites, car, tous ceux qui gagnent entre 120 000€ et 320 000€ ne cotiseront
plus! Ils sont peut-être peu nombreux, mais ont des cotisations très élevées,
la perte totale de cotisation reste à évaluer, mais ça n'est surement pas
négligeable. Autre conséquence : le salaire net de ceux qui gagnent plus de 120
000€ va donc fortement augmenter, car leurs cotisations retraite va fortement
baisser (c'est normal, il faut bien récompenser les premiers de cordée ??),
mais, les compagnies d'assurances vont rapidement les contacter pour les
avertir que leurs retraites seront réduites et leur proposer un contrat de retraite
par capitalisation ! C'est probablement la véritable raison de ce changement de
plafond : pousser une partie de la population (la plus aisée pour l’instant)
vers la retraite par capitalisation ! Pourtant, le gouvernement avance masqué
et prétend toujours, avec un cynisme absolu défendre la retraite par répartition
!
Deuxième exemple de communication
totalement perverse : le nouveau système de pension de réversion. Ce point
a aussi été abordé en réunion au Chesnais, et, pour ceux qui n’étaient pas trop
attentifs, on pouvait seulement retenir qu’avec la réforme, le taux de réversion
serait de 70%, alors qu’aujourd’hui, en cas de décès d’un conjoint, le
survivant pouvait récupérer au mieux entre 50% et 60% de la retraite du
conjoint décédé. Mais, en étant plus attentif, et surtout, en relisant
attentivement les documents disponibles, il y a une petite précision qui change
tout : la réforme ne prévoit pas vraiment une réversion à 70%, mais
seulement que le conjoint survivant aura 70% du total des revenus du couple
avant le décès ! Le document qui décrit ce point, ajoute l’exemple
suivant :
En résumé, avec l’ancien système, Anita avait 1965€/mois, avec le nouveau, 1995€ par
mois : CQFD, la réforme permet d’avoir une meilleure retraite, pourquoi manifester ?
Mais, en regardant de plus près,
on s’aperçoit que les données ont été ‘judicieusement’ choisies pour montrer
‘le cas’ où la réforme est avantageuse, alors qu’en réalité Anita ou ses
semblables sera le plus souvent perdante ! Quelques exemples :
1°) avec les mêmes données pour
Marc, mais Anita a 1000€ de retraite : avec le système actuel, elle aurait
ses 1000€ + 1115€ de réversion = 2115€, avec le nouveau, elle aurait 70% de
(1000€ + 2000€) = 2100€, elle perdra 15€.
2°) avec les mêmes données pour
Marc, mais Anita a 2000€ de retraite (la même que Marc) : avec le
système actuel, elle aurait ses 2000€ + 1115€ de réversion = 3115€, avec le
nouveau, elle aurait 70% de (2000€ + 2000€) = 2800€ , elle perdra 315€ !!
3°) avec les mêmes données pour Marc,
mais Anita a 3000€ de retraite : avec le système actuel, elle aurait ses
3000€ + 1115€ de réversion = 4115€, avec le nouveau, elle aurait 70% de (2000€
+ 3000€) = 3500€, elle perdra 615€ !! Ok, dans ce cas, elle a quand
même une ‘bonne’ retraite, mais le taux de réversion devient très faible (500€
de réversion pour une retraite de 2000€ soit 25%).
Anita perdrait encore plus si
Marc avait fait toute sa carrière comme salarié d’entreprises de la
Métallurgie, car toute sa retraite complémentaire bénéficierait d’un taux de
réversion de 60%. En fait, Anita n’est gagnante avec le nouveau système que si
sa retraite est très faible par rapport à celle de Marc (moins de la moitié), mais
c’est ce seul cas qui est présenté sur le site du gouvernement : un bel
exemple de manipulation et de communication totalement biaisée et
perverse !
Troisième exemple de
cynisme : la fusion des différentes caisses de retraite sans avoir prévu
une période de convergence, par exemple, pour homogénéiser les dettes et les réserves
des différentes caisses et faire converger aussi les taux de cotisation et les
modes de calcul des retraites. C'est le même problème quand on veut fusionner
des communes : on commence par faire converger les taux d'imposition et les
dettes, sinon, il y a forcément des injustices au moment de la fusion ! Or, la
caisse des cadres qui avaient correctement anticipé l'évolution démographique
et le 'papy-boom' (connu depuis plus de 30 ans), et a donc fait des réserves
pour pouvoir passer 20 années difficiles avec trop de retraités, en attendant
que la pyramide des âges redevienne plus équilibrée. Elles servent à financer
le déficit de fonctionnement de la caisse tant que la pyramide des âges est
défavorable et elle génère aussi des produits financiers qui réduisent un peu
ce déficit. D'autres caisses professionnelles comme celle des avocats ont aussi
fait des réserves pour la même raison. Or, avec la réforme proposée, on
'fusionne' les caisses et les régimes et l'Etat récupère toutes ces réserves,
sans proposer la moindre contrepartie : on peut donc comprendre la colère de
ces caisses et de leur représentants (CFE-CGC pour les cadres, les avocats,
etc...). Dans le cas de l’AGIRC-ARRCO, un communiqué de juin 2019 chiffre le
montant de cette réserve à plus de 60Md€ à fin 2018, qui échapperait aux
gestionnaires de ces caisses, c’est-à-dire les syndicats, dans le cadre d’une
gestion paritaire à la Française : ç explique sans doute la ‘virulence’
inhabituelle de la CFE-CGC qui a pourtant souvent montré par le passé qu’elle
savait se montrer très conciliante avec les régressions sociales de multiples réformes
précédentes (suppression des RTT pour les cadres par exemple). Cette colère n'a
donc rien à voir avec la mise en place d'un système par points qui existe déjà
pour les cadres et qui ne suscite pas d'opposition et fonctionne correctement
depuis des années, ça n'a rien à voir avec la soi-disant défense des régimes
spéciaux comme cherche à le faire croire le gouvernement !
En fait, la communication du
gouvernement va porter systématiquement sur les quelques cas où le nouveau
système sera plus favorable, alors que la règle de base initiale est : le
taux de cotisation (et le taux de prélèvement obligatoire) ne changera pas.
Donc, la taille du « gâteau » à redistribuer sous forme de retraites
ne changera pas non plus, mais les règles de répartition du « gâteau »
vont changer avec un système par points pour remplacer un système basé sur un salaire
moyen et une durée. En réalité, ce changement de règle de répartition n’aura
pas d’effet très sensible dans la plupart des cas. Mais, s’il y a des gagnants,
il y aura forcément des perdants si le total est constant. Donc, on pourra toujours
trouver beaucoup de contre-exemples pour chaque exemple présenté comme gagnant
par le gouvernement.
Dernière preuve de cynisme, mais
non la moindre : JP Delevoye prétend que le montant des retraites suivra
l’inflation et maintiendra son pouvoir d’achat, un autre ministre assure que le
retraites suivront l’évolution du salaire moyen. Pourquoi une telle
contradiction ? Il suffit de s’intéresser aux salaires des fonctionnaires,
dans l’Education Nationale par exemple, pour comprendre : les salaires
sont ‘gelés’ depuis plusieurs années, ils ont même baissé entre 2017 et 2019
suite à l’augmentation de la CSG qui n’a pas été totalement compensée,
contrairement aux ‘promesses’ officielles. Dans une économie ‘normale’ où
l’amélioration de la productivité horaire du travail permet d’augmenter les
salaires et le pouvoir d’achat, on peut admettre que le pouvoir d’achat des
retraités soit seulement maintenu et que les pensions suivent l’inflation. Mais,
un ministre qui sait que les salaires ne suivent même plus l’inflation, trouve
sans doute moins risqué de suggérer que les pensions s’alignent sur des
salaires en baisse plutôt que sur l’inflation ! En fait, sans augmentation du pouvoir d’achat des salaires, aucun
système de répartition équilibré ne peut garantir le pouvoir d’achat des
pensions !
Quelles revendications faut-il
défendre dans les manifestations ?
La principale :
1°) Augmentation de 4% minimum de
tous les salaires, en commençant par ceux sous la responsabilité directe du
gouvernement : les salaires des fonctionnaires et le SMIC. Sans cette
augmentation immédiate, aucune promesse de maintien du pouvoir d’achat des
retraites n’est crédible.
Quelques revendications pour
répondre par avance au gouvernement qui ne manquera pas de pleurnicher sur les
déficits induits par l’augmentation des salaires des fonctionnaires (c’est
toujours ‘curieux’ que, depuis Jospin, les gouvernements successifs ne pensent
aux déficits que quand on leur demande des augmentations de salaires pour les
fonctionnaires, mais, pour faire des cadeaux aux riches et réduire leurs
impôts, le déficit n’est soudain plus un problème !)
2°) Suppression de la
défiscalisation et de toute forme de subvention des heures supplémentaires (ça
rapportera beaucoup d’argent à l’Etat, environ 3Md€ par an, d’après le projet
de loi de finance pour 2020, ça enlèvera un frein à l’amélioration de la
productivité horaire du travail et ça sauvera des emplois en cessant
d’encourager les entreprises à supprimer des équipes et à assurer la production
avec des heures supplémentaires pour les équipes restantes, comme c’est déjà le
cas à l’usine Renault de Flins).
3°) Rétablissement de la
fiscalité et des charges sur les revenus financiers au même niveau que la
fiscalité et les charges sur les salaires, comme l’avait fait le gouvernement
Hollande.
4°) Augmentation des taxes sur
l’héritage pour éviter la sclérose d’une économie contrôlée par des rentiers
qui n’ont pour seule compétence que leur naissance.
Quelques revendications pour
répondre par avance aux entreprises qui ne manqueront pas de pleurnicher sur
les charges et l’augmentation des salaires.
6°) Pour les Dirigeants des
entreprises dont l’Etat est actionnaire, le Free Cash Flow ne devra plus faire partie
des critères d’évaluation de leur salaire variable, et sera remplacé par un
critère d’amélioration de 3% par an de la productivité horaire du travail sur
les sites de production Français. (En effet, la productivité horaire du travail
est une mesure de l’efficacité des moyens de production mis à la disposition
des salariés par l’entreprise, et non une mesure des salariés eux-mêmes. Pour
améliorer la productivité, il faut investir dans des moyens performants, et
surtout, en France, relocaliser pour avoir un plan de charge correct des usines,
alors qu’elles sont très largement sous utilisées aujourd’hui : c’est donc
bien une responsabilité des dirigeants des entreprises et ils doivent être
évalués sur cette responsabilité)
7°) Indexer le pouvoir d’achat
des salaires horaires sur la productivité horaire du travail : si la
productivité augmente de 3% et si l’inflation est de 2%, l’augmentation du
salaire horaire devra donc être de 5%. L’augmentation de 4% demandée en 1°) ne
sera donc qu’une petite avance sur les augmentations annuelles suivantes. On
remarquera qu’avec ce mécanisme, le salaire variable des dirigeants sera
conditionné à l’augmentation des salaires des employés : ça ne suffira
peut-être pas à réduire les écarts de salaires, mais ça ira quand même dans le
sens d’une meilleure justice sociale.
Quelques revendications sur la
réforme des retraites elle-même : le plus simple serait d’abandonner toute
réforme, le système actuel peut très bien fonctionner si les salaires horaires augmentent
grâce à l’augmentation de la productivité, et si le chômage diminue grâce à la
réduction du temps de travail et au passage à 32h. Si on veut quand même une
réforme des retraites, le minimum serait quand même de prendre en compte les
points suivants :
8°) Laisser inchangé le plafond
actuel pour les cotisations retraites : 320 000€ (au lieu de
l’abaisser à 120 000€), voire, au contraire, l’augmenter à 400 000€
pour augmenter l’assiette de cotisation.
9°) Négocier une période
suffisante de convergence pour compenser les écarts entre les différentes
caisses de retraite et les différents régimes (dont les régimes
spéciaux) : on ne peut pas supprimer d’un coup des avantages sans accorder
des compensations !
10°) Pensions de réversion :
soit laisser le système actuel en uniformisant vers le haut, avec un taux de
réversion de 60% pour tous, soit adopter la nouvelle règle de calcul, en
passant à 75% pour éviter trop de perdants, mais en précisant honnêtement qui
sera gagnant et qui sera perdant, la nouvelle méthode favorise nettement le cas
d’un conjoint survivant qui n’avait pas ou très peu de retraite propre et qui
vivait exclusivement sur la retraite de son conjoint décédé, au détriment de
ceux qui ont une meilleure retraite que leur conjoint décédé : pourquoi
pas, mais à condition d’être honnête et de faire un geste pour éviter trop de
perdants.
Cadres
Les cadres cotisent sur leur
salaire brut, au régime ARRCO jusqu'au plafond de la Sécurité sociale (PSS) et
au régime Agirc sur la partie de leur salaire comprise entre une et huit fois
ce plafond.
La tranche A (Arrco TA) concerne
la partie du salaire limitée au PSS.
La tranche B (Agirc TB) concerne
la partie du salaire entre 1 et 4 fois le PSS.
La tranche C (Agirc TC) concerne
la partie du salaire entre 4 et 8 fois le PSS.
Taux de cotisation Données 2014
Tranche
|
Salarié
|
Employeur
|
Total
|
Arrco T1/TA
|
3,05 %
|
4,58 %
|
7,63 %
|
Arrco T2B
|
8,0 %
|
12,0 %
|
20,0 %
|
Agirc TB
|
7,75 %
|
12,68 %
|
20,43 %
|
Agirc TC
|
7,75 %(*)
|
12,68 %(*)
|
20,43 %
|
La répartition des cotisations sur la Tranche C des
salaires est décidée au sein de l’entreprise jusqu’à 20 %. De 20 % à
20,30 %, la répartition est la suivante : 66,67 % à la charge du
salarié et 33,33 % pour l’employeur.
En réalité, la répartition entre employeur et salarié fait
l’objet d’accords d’entreprise et peut être plus favorable pour les salariés.
Cas d’une fiche de paye Renault 2019 :
Salaire brut :
|
11110,68
|
Taux de cotisation (% du brut)
|
Répartition salarié/employeur
|
Cotisation retraite totale salarié
|
1177,28
|
10,6%
|
37,85%
|
Cotis employeur
|
1933,1
|
17,4%
|
62,15%
|
Total
|
3110,38
|
28,0%
|
|
On voit que, chez Renault, la
part de l’employeur représente plus de 62% du total des cotisations retraite,
alors qu’avec le projet de réforme, cette part baisserait à 60%, au détriment
du salarié.
En revanche, le taux de
cotisation totale serait conservé à 28% avec le projet de réforme, mais, il
reste à préciser si le montant total des cotisations donneraient droit à des
points, ce n’est pas le cas aujourd’hui
(une partie concerne la CET (contribution exceptionnelle et temporaire) qui ne
donne pas droit à des points, mais, dans le projet de réforme, au-delà de
120 000€, une contribution de « solidarité » de 2,8% ne donne
pas droit non plus à des points, mais rien n’est précisé pour les cotisations
sous le plafond de 120 000€.
Article de Noël DAURIAN
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Credit Dessin Babouse pour la CGT |